Le poème d’Ovide intitulé « les Fastes » constitue l’une des principales sources littéraires qui nous renseigne sur le calendrier romain antique.
Les autres sources essentielles sont l’oeuvre de lexicographes : Varron (de Lingua latina, notamment au livre VI) et Festus (de Verborum significatione, sous différents lemmes). Les informations de ces derniers sont cependant plus riches en ce qui concerne l'étymologie des fêtes et les rites auxquels elles donnent lieu, qu'en ce qui concerne la date à laquelle elles sont célébrées.
Ces auteurs fournissent aussi des indications peu abondantes sur le calendrier de la période républicaine (avant la réforme de Jules César, 45 av. J.C.), plus rares encore et souvent mythiques sur quelques usages de l’époque archaïque ou des peuples de de l’Italie pré-romaine.
L’oeuvre d’Ovide est restée inachevée à la mort de l’auteur (18 ap. J.C.) et ne traite que des mois de janvier à juin. Deux passages résument l’histoire traditionnelle du calendrier et ses caractères essentiels : le premier sert d’introduction au poème tout entier ; le second ouvre le livre III, consacré au mois de mars, en rappelant que c’était autrefois le premier mois de l’année. Ils sont reproduits ci-dessous avec la traduction (élégante, mais assez libre) de Désiré Nisard (Paris, 1857).
Millesimo propose, parmi les « sanctoraux », un calendrier des fêtes et rites de la Rome impériale, fondé sur le calendrier de Tibère (ca. 25-31 ap. J.C.)
Notre connaissance du calendrier romain avant la réforme de Jules César est très imparfaite. La tradition attribue à Romulus lui-même l'intitution du calendrier primitif, fondé sur une année de dix mois – chiffre que semble confirmer une série d'usage juridiques impliquant le même délai. Romulus n'aurait rien fait d'autre qu'emprunter leur calendrier aux Etrusques, chez qui avait cours une année de 304 jours, répartis en 38 « semaines » de huit jours. On ignore le fondement exact de cette année sidérale, qui ne correspond ni au cycle solaire, ni au cycle lunaire. Selon certaines sources (Macrobe, Solin), cette année était elle aussi divisée en dix mois : six de 31 jours, et quatre de 30 jours.
Selon les mêmes traditions, c'est au roi Numa Pompilius (713-671 av. J.C.) que revient l'introduction à Rome d'un calendrier de douze mois, fondé sur le cours de la Lune. Ces douze mois formant un total inférieur à l'année solaire de onze jours environ, un mois supplémentaire de 22 ou 23 jours (Mercedonius) était inséré une année sur deux pour rétablir le synchronisme, à l'exception d'une année tous les 22 ans. La charge de décréter la place et la durée du moins intercalaire revenait aux pontifes, qui avaient la réputation d'en faire à leur gré, dans leur propre intérêt (on reconnaît l'esprit railleur des Romains !).
Lorsque Jules César décida de réformer le calendrier, en 45 av. J.-C., celui-ci se trouvait en avance de 67 jours sur le cours réel du soleil.
La scansion en périodes de huit jours, remontant aux Etrusques, perdura jusqu'à l'époque impériale. Elle était concrétisée par les jours de marché (« nundinae ») revenant à cet intervalle : « nono quoque die », d'où leur nom. Les calendrier épigraphiques affectent chaque jour d'une « lettre nundinale », se répétant en boucle de A à H. Cette lettre marque les jours de marché lorqu'elle correspond à la lettre de l'année en cours. (Le procédé est identique à celui des « lettres dominicales » qui seront introduites dans les calendriers médiévaux vers le IXe siècle).
[I, 1-14] Tempora cum causis Latium digesta per annum, Lapsaque sub terras ortaque signa canam. |
Je chanterai lannée romaine, ses divisions, leurs causes; je dirai quand les constellations apparaissent, quand elles descendent sous lhorizon. |
Excipe pacato, Caesar Germanice,
vultu Hoc opus, et timidae dirige navis iter; |
Accueillez cet ouvrage, Germanicus César, avec un sourire bienveillant: dirigez la course de mon timide navire; |
Officioque, levem non aversatus
honorem, Huic tibi devoto numine dexter ades. |
ne dédaignez pas un modeste hommage: ce livre se donne à vous; soyez-lui propice. |
Sacra recognosces annalibus
eruta priscis, Et quo sit merito quaeque notata dies. |
Jexhumerai des antiques annales pour les faire passer devant vos yeux, et nos cérémonies religieuses et les événements qui ont signalé tels et tels jours; |
Invenies illic et festa domestica
vobis. Saepe tibi pater est, saepe legendus avus; |
vous reconnaîtrez, parmi nos fêtes, celles qui sont pour votre famille lobjet dun culte domestique; plus dune fois vous lirez le nom de votre père, le nom de votre aïeul; |
Quaeque ferunt illi pictos
signantia fastos, Tu quoque cum Druso praemia fratre feres. |
et lhonneur quils ont obtenu dêtre inscrits dans nos fastes, un jour aussi vous lobtiendrez, ainsi que Drusus votre frère. |
Caesaris arma canant alii,
nos Caesaris aras, Et quoscumque sacris addidit ille dies. |
Que dautres célèbrent les exploits de César; moi je parlerai des autels quil a élevés, des nouvelles solennités quil a instituées. |
(...)
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(...)
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[I, 27-60] Tempora digereret quum conditor urbis, in anno Constituit menses quinque bis esse suo. |
Lorsque le fondateur de Rome voulut régler la division du temps, il établit que lon compterait deux fois cinq mois dans son année. |
Scilicet arma magis, quam sidera,
Romule, horas, Curaque finitimos vincere major erat. |
On le voit, Romulus, tu connaissais mieux la guerre que lastronomie: ta grande étude était de vaincre les peuples voisins. |
Est tamen et ratio, Caesar,
quae moverit illum, Erroremque suum quo tueatur habet. |
Pourtant, César, il est des raisons qui le persuadèrent, et son erreur même nest pas sans excuses. |
Quod satis est utero matris
dum prodeat infans, Hoc anno statuit temporis esse satis. |
Dix mois suffisent pour que lenfant sorte du sein de sa mère; Romulus pensa que cette même période de temps devait être la mesure de lannée. |
Per totidem menses a funere
conjugis uxor Sustinet in vidua tristia signa domo. |
Cest aussi pendant dix mois que lépouse, après la mort de son époux, porte, dans sa demeure solitaire, les tristes vêtements du veuvage; |
Hoc igitur vidit trabeati cura
Quirini, Quum rudibus populis annua jura daret. |
ce fut là sans doute ce qui frappa lesprit de Quirinus, vêtu de la trabée, quand il fixa pour ses peuples grossiers les divisions de lannée. |
Martis erat primus
mensis, Venerisque secundus, Haec generis princeps, ipsius ille pater. |
Le premier mois fut consacré à Mars, le second avril à Vénus; Romulus descendait de Vénus, et Mars était son père. |
Tertius a senibus, juvenum
de nomine quartus, Quae sequitur numero turba notata fuit. |
La vieillesse donna son nom au troisième [mai], la jeunesse au quatrième [juin]; les autres furent désignés chacun par le rang quils occupaient. [quintilis=juillet, sextilis=août, september à december.] |
At Numa nec Janum, nec avitas praeterit umbras, Mensibus antiquis apposuitque duos. |
Numa, ne voulant pas laisser sans honneurs et Janus et les mânes des aïeux, augmenta le nombre des mois, et aux anciens il en ajouta deux autres [janvier, février]. |
Ne tamen ignores variorum jura dierum: Non habet officii Lucifer omnis idem. |
Jexposerai maintenant la loi qui règle les jours; car ils ne sont pas tous consacrés aux mêmes devoirs. |
Ille Nefastus erit, per quem
tria verba silentur: Fastus erit, per quem lege licebit agi; |
Ils sont dits néfastes, quand les trois paroles sacramentelles ne peuvent être prononcées dans les tribunaux; fastes, quand la justice suit son libre cours; |
Neu toto perstare die sua jura
putaris: Qui jam Fastus erit, mane Nefastus erat. |
et ne croyez pas quun même jour ne puisse avoir quune distinction: tel est néfaste le matin, qui sera faste le soir; |
Nam simul exta deo data sunt, licet omnia fari, Verbaque honoratus libera praetor habet. |
en effet, dès quon a offert aux dieux les entrailles des victimes, la parole cesse dêtre interdite, et le préteur recouvre le droit de rendre ses arrêts tout-puissants. |
Est quoque, quo populum jus est includere septis: Est quoque, qui nono semper ab orbe redit. |
Il est des jours de comices où le peuple vient remplir les enceintes du champ de Mars; il est des jours de marché, qui reviennent quand le disque de la lune reparaît pour la neuvième fois. |
Vindicat Ausonias Junonis cura
Kalendas: Idibus alba Jovi grandior agna cadit: Nonarum tutela deo caret. Omnibus istis Ne fallare cave proximus Ater erit. |
Les Calendes romaines sont consacrées au culte de Junon; les ides voient couler, devant les autels de Jupiter, le sang dune belle et blanche brebis; aucune divinité ne préside aux Nones. Le lendemain de tous ces jours, notez-le avec une attention religieuse, est marqué de couleur noire; |
Omen ab eventu est, illis nam Roma diebus Damna sub adverso tristia Marte tulit. |
ce présage est tiré des événements de notre histoire : ce sont les jours où Rome, trahie par le sort des combats, a essuyé de sanglantes défaites. |
Haec mihi dicta semel, totis
haerentia fastis, Ne seriem rerum scindere cogar, erunt. |
Ceci sapplique à toute la série de nos fastes; je le dis une fois, [et je ne le répéterai plus] afin de ne pas rompre à chaque instant le fil de ce poème. |
[III,71] Jam, modo qua fuerant silvae pecorumque recessus, Urbs erat, aeternae quum pater urbis ait: Arbiter armorum, de cujus sanguine natus Credor, et ut credar, pignora certa dabo, A te principium Romano ducimus anno: Primus de patrio nomine mensis eat. |
Là où étaient dépaisses forêts, là où se cachaient les bêtes féroces, une ville commençait à paraître. « Dieu des combats, dit alors le fondateur de cette ville éternelle, si je dois tappeler mon père (et bientôt il ne sera plus permis den douter), je veux que Iannée romaine souvre sous tes auspices, et que le premier mois porte ton nom. » |
Vox rata fit, patrioque vocat de nomine mensem.
Dicitur haec pietas grata fuisse deo. |
Sa volonté saccomplit: le mois reçoit le nom du père de Romulus, et le dieu agrée ce pieux hommage. |
Et tamen ante omnes Martem coluere priores;
Hoc dederat studiis bellica turba suis; |
Toutefois, Mars dès longtemps occupait le premier rang parmi les divinités du Latium; un tel culte plaisait à ces peuplades belliqueuses. |
(...)
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(...)
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Quod si forte vacas, peregrinos inspice fastos:
Mensis in his etiam nomine Martis erit. |
Parcourons un moment les fastes de nos voisins, nous y trouverons aussi un mois portant le nom de Mars. |
Tertius Albanis, quintus fuit ille Faliscis:
Sextus apud populos, Hernica terra, tuos. |
Cétait le troisième chez les Albains, le cinquième chez les Falisques, le sixième dans le pays des Herniques. |
Inter Aricinos Albanaque tempora constant Factaque Telegoni moenia celsa manu. |
La ville dAricie, la ville qui doit ses hauts remparts à Télégonus, comptent toutes deux le temps comme les Albains; |
Quintum Laurentes, bis quintum Aequicolus asper, A tribus hunc primum turba Curensis habet. |
chez les Laurentins, ce même mois a la cinquième place, la dixième chez le rude Équicole, la quatrième chez les habitants de Cures, |
Et tibi cum proavis, miles Peligne, Sabinis Convenit: hic genti quartus utrique deus. |
la quatrième encore chez le Pélignien, toujours armé, qui suivait en cela les usages des Sabins, ses ancêtres. |
Romulus, hos omnes ut vinceret ordine saltem,
Sanguinis auctori tempora prima dedit. |
Ainsi tous ces peuples avaient consacré à Mars un de leurs mois; Romulus fit plus pour honorer lauteur de ses jours, il voulut que ce mois fût le premier de lannée. |
Nec totidem veteres, quot nunc, habuere Kalendas, Ille minor geminis mensibus annus erat. |
Autrefois aussi, on ne comptait pas autant de Calendes quaujourdhui. Lannée de nos pères avait deux mois de moins que la nôtre. |
(...)
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(...)
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Ergo animi indociles et adhuc ratione carentes
Mensibus egerunt lustra minora decem. |
Ainsi il manquait toujours dix mois au lustre que célébraient ces hommes ignorants et sans culture; |
Annus erat, decimum quum luna repleverat orbem.
Hic numerus magno tunc in honore fuit; |
lannée était finie dès que la lune avait renouvelé dix fois son croissant; ce nombre prévalait alors, |
Seu quia tot digiti, per quos numerare solemus:
Seu quia bis quino femina mense parit: |
soit parce que nos doigts nous apprennent à compter ainsi, soit parce que les femmes accouchent au dixième mois, |
Seu quod adusque decem numero crescente venitur; Principium spatiis sumitur inde novis. |
soit parce que nos chiffres ne vont en croissant que jusquà dix, et recommencent alors de nouvelles séries. |
Inde pares centum denos secrevit in orbes Romulus, Hastatos instituitque decem; |
Cest pour cela que Romulus partagea en dix corps, de chacun cent hommes, tous les soldats combattant avec les mêmes armes: il y eut dix corps de hastats, |
Et totidem Princeps, totidem Pilanus habebat Corpora, legitimo quique merebat equo. |
dix de princes, dix de pilani. Ceux qui avaient mérité dêtre gratifiés dun cheval étaient également divisés par dix, |
Quin etiam paries totidem Titiensibus idem, Quosque vocant Ramnes, Luceribusque dedit. |
comme aussi les trois tribus, auxquelles il donne le nom de Titiens, de Ramnes, de Lucères. |
Assuetos igitur numeros servavit in anno. Hoc luget spatio femina maesta virum. |
Cest pendant dix mois encore que la veuve pleure son époux; enfin ce nombre se trouvait partout, et Romulus le choisit pour mesurer lannée. |
Neu dubites, primae fuerint quin ante Kalendae Martis, ad haec animum signa referre potes, |
Si vous doutez que les Calendes de Mars aient tenu autrefois le premier rôle, il est des usages encore auxquels vous pouvez le reconnaître: |
Laurea Flaminibus, quae toto perstitit anno,
Tollitur, et frondes sunt in honore novae. |
à ce moment la guirlande de laurier qui a été suspendue toute lannée dans la demeure des flamines disparaît, et fait place à de nouveaux rameaux; |
(...)
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(...)
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Hinc etiam veteres initi memorantur honores
Ad spatium belli, perfide Poene, tui. |
Du temps de nos pères, jusquà la guerre du perfide Hannibal, on entrait en charge au mois de Mars. |
Denique quintus ab hoc fuerat Quintilis, et
inde Incipit, a numero nomina quisquis habet. |
Enfin Quintilis nest le cinquième mois que si lon compte à partir du mois de Mars, et jen dirai autant de tous ceux qui le suivent. |
Primus oliviferis Romam deductus ab arvis Pompilius menses sensit abesse duos: |
Celui que les Romains allèrent chercher au pays célèbre par ses olives, Pompilius, saperçut le premier que lannée était incomplète, |
Sive hoc a Samio doctus, qui posse renasci
Nos putat, Egeria sive monente sua. |
averti peut-être par la nymphe Égérie, ou instruit par linventeur de la métempsycose, par le philosophe de Samos. |
Sed tamen errabant etiam tunc tempora, donec Caesaris in multis haec quoque cura fuit. |
Toutefois il ne fixa pas par dinfaillibles règles la division du temps; cette gloire, entre tant dautres, était réservée à César. |
Non haec ille deus, tantaeque propaginis auctor,
Credidit officiis esse minora suis, |
Ce dieu, ce père dune si noble race, ne crut pas cette étude au-dessous de lui; |
Promissumque sibi voluit praenoscere coelum,
Nec deus ignotas hospes inire domos, |
ce ciel, quil devait habiter un jour, il voulut le connaître davance, et ne pas entrer comme un hôte ignorant dans la demeure des immortels. |
Ille moras solis, quibus in sua signa rediret,
Traditur exactis disposuisse notis. |
Il détermina, par des calculs certains, le temps que met le soleil à revenir au signe doù il était parti; |
Is decies senos tercentum et quinque diebus Junxit, et e pleno tempora quarta die. |
aux trois cent cinq jours de lancienne année, il en ajoute soixante, et de plus six heures; |
Hic anni modus est. In lustrum accedere debet, Quae consummatur partibus, una dies. |
le jour que forment ces heures sajoute ensuite au lustre et le complète, et telle est la mesure de lannée. |